Bourdieu, savant et politique

Comme souvent avec Bouveresse, on s’emmerde un peu dans Bourdieu, savant et politique. L’ennui vient moins de cette absence de déclarations tonitruantes à laquelle la philosophie des quatre-vingt dernières années nous a habituées que de textes lacérés d’incises inutiles et d’une promesse de mieux comprendre tenue par les pinces d’un scepticisme en apparence, et en en apparence seulement, non-destructeur. Il est plaisant de voir Bouveresse tenir le bras de Bourdieu pour donner la gifle bien méritée aux extravagants de la pensée, ignorants des limites de leur savoir sinon ignorants tout court. Ce scepticisme critique, ce rappel à la nécessaire modestie authentique¹ de celui qui avance dans la recherche de la vérité, est soutenu par une croyance en la possibilité d’atteindre cette vérité malgré les antinomies de la raison sociologique elle-même. Le dernier chapitre portant sur l’essai d’auto-analyse sociologique de Bourdieu laisse le sceptique à son scepticisme : comment la délimitation du parcours du chercheur, l’arraisonnement de ses propositions aux côtes de son milieu et de son expérience, peut-elle éviter le piège du relativisme ? Par la magie du « connais et tu seras délivré » ? Pour sûr, une telle délimitation a le mérite de donner le goût du neuf à l’ancienne philosophie du soupçon² sans pour autant en changer le fond, philosophique cette fois, de la relativité des jugements moraux qui inspire à la sociologie cette mise au pain et à l’eau des disciplines intellectuelles tout en menant à l’impasse de vérités si petites que “l’auto-analyse sociologique” à elle seule les désarme immédiatement dans le champ pratique. Malgré lui, Bouveresse réussit peut-être à nous persuader que cette objectivité relative, située, n’a pas les mérites émancipateurs que Bourdieu semblait lui attribuer, bien qu’elle ait à présent les nobles habits de la réflexivité et de la rigueur.